Portrait : Sandra Abreu, art-thérapeute, plasticienne et Fondatrice de l’Association LILOMINO.

SANDRA ABREU
La fonceuse sensible

BORDEAUX


C’était un samedi matin. Il pleuvait sur la Place Pey Berland devant la Mairie. Je naviguais entre les stands d’associations bordelaises. C’était la rentrée, le temps de choisir quelles activités, quels engagements allaient ponctuer ce nouveau cycle scolaire. Je vois une table remplie de pelotes de trapilho (pelotes de tissus recyclés) d’un bleu chatoyant. Derrière elles, une bénévole crochetait des formes intrigantes criblées de trous béants. Je m’avance, et là au sol, de grandes fleurs à la Matisse en bois avec des encoches sur chaque côté posées comme une invitation à les manipuler et les emboîter. D’ailleurs, un enfant accompagné de sa mère était en train de commencer à construire un petit arbre avec. Je tourne la tête et je vois un grand panneau blanc avec des lettres de couleurs où j’ai lu « Lilomino ». J’étais en train de me demander ce que proposait cette association quand j’entends derrière moi une voix douce qui me demande si elle peut m’aider. C’était Sandra Abreu, art-thérapeute, plasticienne et Fondatrice de l’association. Impossible de ne pas en savoir plus sur ce projet de grande envergure! Obligée de creuser les raisons pour lesquelles la bordelaise d’adoption a sauté dans le vide et investit la majorité de son temps avec tant d’enthousiasme et de conviction.

Quelques jours passent et Sandra me donne rendez-vous dans le quartier Saint-Augustin à Bordeaux où elle m’accueille dans son atelier/bureau et me raconte son histoire. Un moment suspendu de partage accompagné d’un café soluble dans une jolie tasse, entouré d’objets, de livres, de matériel artistique et de couleurs.

Le Parcours de Sandra : d’une enfance pas comme les autres au Graphisme puis à l’Art-Thérapie.

Sandra, la quarantaine aujourd’hui, a grandi à Paris avec un petit frère handicapé. Elle a, de fait, évolué un peu plus vite que les autres enfants car la notion de différence et le poids du regard de l’autre étaient omniprésents.  Partager son quotidien avec ce petit garçon à part a également éveillé en elle une sensibilité particulière. Elle a été confrontée assez tôt au monde des institutions et à celui du médical et s’est parfois retrouvée face à sa dure réalité.

La première personne à mettre en relief et à valoriser cette sensibilité fut un professeur de technologie qui dit à ses parents qu’il fallait qu’elle suive une filière artistique. Ils ont été réceptifs ce qui l’a encouragée à se renseigner sur les différents parcours qui existaient. Après mûres réflexions, elle choisit un Bac Pro Arts Graphiques puis continue à la fac en Arts Plastiques, option Arts Appliqués. Une fois diplômée, elle a été Graphiste, Directrice Artistique dans un magazine puis s’est tournée vers le libéral pour des marques pendant une quinzaine d’années. Pour ses travaux, Sandra ne passait pas forcément systématiquement par le dessin mais plutôt par la matière.

Dans le même temps, elle se marie et a trois enfants.
Pendant toutes ces années, une question n’avait de cesse de la tarauder : pourquoi n’existait-t-il pas d’espace d’écoute de la créativité de la personne par le soin ?
Un beau jour,  elle tombe sur l’art thérapie. Et là, révélation ! Elle mettra tout de même dix ans à passer le cap du choix d’une nouvelle formation car elle avait besoin d’un travail sur elle pour se dire que c’était possible d’emprunter ce chemin.

C’est à l’aube de la quarantaine que Sandra se décide à prendre un premier virage et intègre la formation d’art-thérapie de la Faculté de Médecine de Paris V au centre de l’étude et de l’expression à Sainte-Anne, dirigée par le Docteur Dubois. Ce fut deux années intenses, très prenantes psychiquement et psychologiquement, avec beaucoup d’heures de stage. Pendant la deuxième année, elle déménage en Corse, son mari ayant une opportunité professionnelle qui répond à leur désir de nature, d’espace et de tranquillité qu’ils ont depuis quelque temps. Là-bas, à l’Ile Rousse, elle trouve un stage dans deux CMP (centres médico-psychologiques) qui lui permettent de travailler main dans la main avec des professionnels de santé rendant son accompagnement très complet et intéressant.

Diplômée d’art-thérapie en 2014, elle créé de toute pièce ce qui n’existait pas du tout à l’époque : des ateliers pour adultes, adolescents et enfants au sein d’un centre médico social à l’ Hôpital de Bastia où elle a été confrontée à tout type de pathologies. Elle m’a expliqué comment elle travaillait et ce qui se passait bien souvent pendant ces sessions de travail :

Une mutation se profile de nouveau quelques années plus tard. Cette fois-ci, direction Bordeaux qui les rapprochait, son mari et elle, de leur famille respective d’origine portugaise. Nouvelle ville, nouvelle vie à construire encore une fois !
Sandra s’est réinstallée en libéral, ce qui fut compliqué car l’art-thérapie n’est pas prise en charge. En attendant d’étoffer son réseau, elle a pris un travail en animation dans l’ EHPAD ‘La Clairière de Lussy’ à Caudéran-Saint-Augustin. Elle a fait des ateliers pour les résidents pendant un an ainsi que pour ceux atteints de la maladie d’Alzheimer. Une place s’est ensuite libérée pour mettre en place des dispositifs artistiques au sein de groupes privés de crèches en 2021. Elle postule et décroche le poste. Au début, elle mettait en place des installations dans l’entrée des crèches et animait des ateliers en tournant dans toutes les crèches du réseau. Au bout d’un moment, ne voyant pas l’intérêt pour l’enfant, elle a demandé à rester cinq semaines sur une même crèche, à avoir plus d’ateliers pour être vraiment dans l’écoute des enfants, des familles, des professionnels de l’enfance dans les crèches car eux aussi avaient besoin d’être accompagnés. Elle les a formés et a fait des accueils parents-enfants. Ce n’était pas de l’art-thérapie mais toutes ces personnes lui ont donné une richesse d’idées énormes.

De fil en aiguille, l’idée de monter un laboratoire de recherches de la créativité pour les enfants a germé en elle. En creusant un peu, elle s’est rendue compte que des lieux existaient déjà (Maison de la créativité à Genève, Mille formes à Clermont-Ferrand, entre autres) et est tombé sur un rapport qui disait qu’il fallait remettre l’enfant à la créativité et au sensoriel, au lien parent-enfant par le biais de tout cet apport de l’éveil culturel et artistique. C’est là qu’elle s’est rendue compte que ses réflexions et son idée n’étaient pas du tout à côté de la plaque. Ni une, ni deux! Deuxième virage… Début 2024, elle quitte le privé pour monter ce fameux laboratoire, nommé Lilomino, et en faire quelque chose de public et social.

Focus sur l’association Lilomino

Lilomino est une association dédiée à l’éveil culturel et artistique pour permettre à chaque enfant et sa famille de trouver sa place et d’exprimer sa singularité à l’aide de la créativité.

Pourquoi ce nom? Lilo pour le clin d’oeil à l’Ile aux Enfants et mino pour la référence à la notion de liberté.

Sept bénévoles : Sandra Abreu, Lucile Rivera-Bailhacq (co-directrice de l’association Opale, Pôle ressources Culture et Economie Sociale et Solidaire), Eva Garraud (Directrice du Développement pour le Groupe Galileo Global Education), Jessica Cendoya Lafleur (Igénieure d’étude et de recherche dans le secteur culturel), Agathe Taurel (Géographe de formation, codirige ALGA Médiation, une entreprise spécialisée dans la méditation territoriale et l’audiovisuel), Lydie Bimont (Directrice de Cultures du Coeur en Val de Marne), Karine Maury (Organisatrice d’intérieur).

Aujourd’hui, l’association infuse de la poésie dans le quotidien des enfants et de leurs familles, à travers des installations artistiques immersives qui invitent à explorer l’art à travers les matières, les sensations et les émotions. Elle intervient dans des collectivités, institutions, lieux culturels et des entreprises avec des projets comme : 

  • MORPHOGENESE : Une installation intergénérationnelle où les formes naturelles se transforment à partir de matériaux recyclés.

  • TOUTYPE : Une sculpture collaborative éphémère en bois, révélant la puissance de la créativité collective.

  • CHUUTISSUS : Une installation immersive qui célèbre le silence et le tissu, invitant à une expérience sensorielle apaisante.

En parallèle, au sein de l’Observatoire de la Créativité, elle propose des formations et des actions de recherche/action/création autour de la créativité. Elle organise des moments de rencontre pour partager et cultiver ce souffle vital qu’est la créativité, accessible à tous.

Lilomino ambitionne également d’avoir un lieu physique dans Bordeaux et a déjà commencé activement ses recherches. Ce sera : 
Un lieu de référence pour tout ce qui est en lien avec la créativité et le sensible. Les professionnels pourront venir se ressourcer quand ils auront des questions autour de ces thèmes, quand ils auront envie de mener des ateliers. Une matériothèque sera à leur disposition.
Un lieu de formation pour les pro et les artistes afin de développer des projets avec les tout-petits qui demandent une écoute particulière.
Un lieu de réflexion pour penser des dispositifs avec des artistes pour qu’ils puissent être multipliés dans des lieux d’accueil.
Un lieu ressource pour les parents avec une journée spéciale pour l’accueil des familles à besoin spécifique.

Lilomino à Pey Berland lors du Forum des Associations en Septembre.

MORPHOGENESE

Lilomino a besoin de votre aide!

Pour mener à bien toutes ces missions, l’association a lancé un financement participatif et a plus que jamais besoin de nous tous pour faire du lien et faire du bien. Elle a remporté un financement Région/Mairie donc bonne nouvelle : tous les dons sont multipliés par deux.

”CHOISIR LILOMINO, C’EST RECREER DU LIEN ESSENTIEL PAR LA CREATIVITE ET LA CULTURE POUR GRANDIR ENSEMBLE!”

A vos dons ici ! MERCI

Portrait chinois

Quel enfant étais-tu?
J’étais une enfant joyeuse, souriante, introvertie, à l’écoute.

Quelle empreinte voudrais-tu laisser?
Le partage et la créativité.

D'où vient ton inspiration? Comment tu t’inspires?
Des voyages, des artistes, mes enfants et des expos.
La dernière en date : l’installation immersive d’Ernesto Neto au MAAT à Lisbonne.

Ce que les gens ne savent pas sur toi?

Je ne finis jamais mes phrases.

Si tu étais un animal?
Le paresseux. Mon animal totem, petite.

Ta devise?
Créativité pour tous et par tous!

Endroits que tu préfères à Bordeaux?
Le CAPC.
La vieille ville.
Le Studio Primitif.
Les Vivre de l'Art (4, rue Achard)

L'objet qui ne te quitte jamais?
Mon téléphone (c’est horrible de dire ça!). Mon crochet, sinon.

Si tu devais mourir demain, tu ferais quoi?
Je prendrais mes enfants et je passerais un moment au bord de l’eau.

Tes passions?
La danse, les arts plastiques, la xylogravure.

Les chansons et livres que tu aimes bien ?
Noah’s Ark de Coco Rosie qui m’a portée durant une période compliquée de ma vie.
Tout Lisa Gerrad de Dead Can Dance.

Tous les livres de Déborah Lévy.
Tous les livres en lien avec l’enfant ou le bébé.

Les projets dont tu es la plus fière aujourd'hui?
- La création d’ateliers d’art-thérapie à L’Ile Rousse en Corse.
- Avoir dépassé mes traumatismes.
- Lilomino.

Ta prochaine première fois?
Exposer Morphogenèse dans un lieu culturel.

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Portrait : Docteur Sophie Gibert, médecin généraliste spécialisée en gynécologie et dans l’accompagnement des personnes transgenres.